La souffrance n’est la douleur. Paul RICOEUR

mardi 29 mars 2011
par Philippe GOULOIS
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Depuis la médiatisation de "l’affaire" France TELECOM (vague de suicide en 2009), le terme de souffrance au travail envahit les questions de la santé et des conditions de travail. Mais lorsque l’on parle de souffrance de quoi parle t-on vraiment ?

A mon sens, il persiste une imprécision du langage : on parle indifféremment de douleur et de souffrance (« la souffrance est à l’esprit ce que la douleur est au corps ») Ambiguïté de la situation : la douleur est connue comme une manifestation classique des difficultés psychologiques « douleur morale – poids, constriction - et dépression » ; la douleur est ressentie dans le cerveau, dans l’organe de la pensée et du sentiment.
- « sois sage ô ma douleur et tiens toi plus tranquille » Baudelaire

Pour la prévention des risques, et notamment en psycho du travail, la pensée du philosophe Paul Ricœur est éclairant.

Dans sa démarche de compréhension de l’homme, Paul Ricœur, dans un article intitulé « La Souffrance n’est pas la douleur » (voir) écrit :
- « On s’accordera donc pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés dans des organes particuliers du corps ou dans le corps entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement – toutes choses que nous allons considérer un peu plus loin. Mais la douleur pure, purement physique, reste un cas limite, comme l’est peut-être la souffrance supposée purement psychique, laquelle va rarement sans quelque degré de somatisation. Ce chevauchement explique les hésitations du langage ordinaire : nous parlons de douleur à l’occasion de la perte d’un ami, mais nous déclarons souffrir d’un mal de dents. C’est donc comme idéal-type que nous distinguons la douleur et la souffrance sur la base des deux sémiologies que l’on vient d’énoncer. »

Une représentation des phénomènes du souffrir est proposée par Ricœur comme la rencontre de deux axes qui s’avèreront être orthogonaux : l’axe agir-pâtir et l’axe du rapport soi-autrui. Il envisage donc un premier axe allant de l’agir au pâtir sur lequel la souffrance « consiste dans la diminution de la puissance d’agir », ainsi « seuls des agissants peuvent être aussi des souffrants ». L’axe agir-pâtir est coupé par un second axe allant de soi à autrui, sur lequel la souffrance peut être vécue replié sur soi ou peut tendre à se raconter en une histoire acceptable. Ces deux axes sont traversés par la demande du sens de la souffrance, allant de l’interrogation à la stupeur muette.

Le sens premier du mot souffrir, endurer, semble constituer pour Ricœur un signe distinctif des deux notions : « endurer, c’est-à-dire persévérer dans le désir d’être et l’effort pour exister en dépit de… C’est ce “en dépit de…” qui dessine la dernière frontière entre la douleur et la souffrance, lors même qu’elles habitent le même corps. »

Les entrelacs de l’usage des mots souffrance, douleur, stress, par les hommes et les femmes qui disent leur vécu subjectif au travail, témoignent de l’engagement de soi dans le travail et des empreintes que la confrontation aux épreuves du réel de l’activité inscrit dans le corps et dans le psychisme.

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